Il suffit d'y croire
Voici une petite histoire, surprenante je l'avoue, qui s'est passée aux Iles-de-la-Madeleine durant la période où j'y ai habité. Une de mes bonnes amies aux îles avait le pouce vert. Son jardin était magnifique et sa serre regorgeait chaque année de tomates, de concombres grimpants, de haricots géants, de piments et même de melons. Elle mettait des fleurs partout dans son jardin et sa serre débordait de capucines de toutes les couleurs. Elle aimait tellement la nature que chaque petit brin d'herbe, chaque oiseau, chaque insecte était important. Et contrairement à ses voisins, elle aimait les pissenlits, qu'elle appelait «ses petits soleils».
Aussi n'ai-je pas été étonnée lorsqu'elle me raconta une aventure qui lui était arrivée l'été précédent.
Cet été-là, sa serre et son jardin avaient produit au-delà de ses espérances. Jamais récolte n'avait été aussi abondante.
Mais un jour, en voulant arracher une carotte, Yvonne eut la surprise de n'en retirer qu'une moitié. Elle ne semblait pas avoir été rongée, mais coupée. Coupée sous la terre. Elle trouva cela étrange mais ne se posa pas trop de questions. D'autant plus que les autres étaient intactes.
Le lendemain, en allant chercher des tomates dans la serre, elle s'étonna de voir que certaines capucines avaient été coupées, celles du bas; mais curieusement, les fleurs s'étaient volatilisées. En fouillant le sol pour les retrouver, elle vit de petites empreintes d'oiseau sur la terre fraîche mais elles se perdaient mystérieusement sous le feuillage abondant des plants de concombres.
Ce détail lui mit la puce à l'oreille et une hypothèse farfelue commença à germer dans son esprit; mais elle la repoussa. Non, non, c'était trop insensé. Mais l'idée persista tout au long de la journée et prit de l'ampleur.
Elle y avait toujours cru mais n'avait jusqu'ici jamais eu la chance d'en apercevoir un. Sachant que c'est durant la nuit qu'ils exercent leurs activités, elle décida de le surprendre.
À 21h45, elle alla dans la serre, se cacha dans le coin le plus obscur et attendit. Deux, puis trois heures passèrent. Elle n'entendit aucun bruit, ne décela aucun mouvement. Fatiguée et déçue, elle alla se coucher. Elle répéta cela trois soirs de suite.
Le quatrième soir, elle commença sa veille à minuit et demi, en se disant qu'il se manifesterait peut-être plus tard dans la nuit. En même temps, un doute s'infiltrait dans son esprit et lui faisait penser qu'elle était folle à lier de croire à ces choses. Mais elle chassa cette pensée négative pour se concentrer sur la nuit qui régnait dans la serre.
Il pleuvait cette nuit-là. Les gouttes d'eau s'abattaient bruyamment sur le plastique de la serre. C'est probablement pour cette raison qu'elle ne l'entendit pas bouger tout de suite. Mais vers 2h00 du matin, un bruit presqu'imperceptible lui fit dresser l'oreille. Elle fouilla le sol des yeux mais il faisait trop sombre. «Il voit mieux que moi dans le noir» se dit-elle. Elle attendit patiemment, aussi immobile qu'une statue.
La pluie cessa finalement. Yvonne pouvait mieux entendre les bruits qu'il faisait. Son coeur battait plus vite, elle était enfin sur le point de le voir! Sa fatigue s'était envolée, remplacée par une excitation fébrile devant l'inconnu.
Et tout à coup, ce qu'elle espérait arriva! Un croissant de lune lui apporta assez de lumière pour que ses yeux puissent percer les mystères des ténèbres. Se concentrant sur un plant de capucines qu'elle avait vu bouger, ses yeux sondèrent l'obscurité à la recherche de ...
Et elle «le» vit! Et «il» la vit aussi!
Elle avait tant rêvé de ce moment! Il était là, devant elle, cet adorable petit bonhomme de quinze centimètres de haut, à la longue barbe blanche et portant un interminable chapeau pointu. Elle s'accroupit pour mieux le voir. C'était un gnome, hé oui, vous l'aviez sans doute deviné : ces petits êtres nocturnes, dotés de pouvoirs magiques, qui peuvent vivre 400 ans et qui habitent les forêts, les maisons, les jardins, les dunes...
Ayant lu beaucoup d'ouvrages sur les gnomes, mon amie Yvonne était au courant de tout ce qui les concerne et elle croyait fermement à leur existence. Mais ce n'est pas le genre de choses qu'on va dire à tout le monde. Les gens de notre époque ne croient plus au merveilleux, sauf les enfants. Moi, je l'ai crue tout de suite lorsqu'elle m'a fait cette confidence car j'ai toujours espéré en rencontrer un moi aussi et, secrètement, je l'enviais.
Yvonne avait appris dans ses lectures que les semelles des bottes de gnomes étaient marquées en relief de pattes d'oiseaux, les aidant à déjouer leurs poursuivants. C'est ce petit détail qui lui avait mis la puce à l'oreille car les oiseaux n'entrent pas dans une serre, sauf par accident.
- Bonjour, lui dit-elle avec un sourire, je suis Yvonne. Et toi?
- Je m'appelle Émile. Elles sont délicieuses tes capucines !
Yvonne l'observait intensément. Si peu d'humains ont cet immense privilège de rencontrer un gnome. Il semblait perdu, désemparé. «Une tempête de vent l'avait emporté» disait-il. Jusqu'où ? Il ne savait même pas. Étant originaire de la grande forêt, il se trouvait très loin des siens.
Elle lui parla des îles, milieu qui lui était totalement inconnu, de la mer, du sable, de la terre rouge. Toutes ces choses intéressaient grandement Émile. Il absorbait tout.
Le temps s'écoula et chaque jour qui passait rapprochait un peu plus ces deux êtres solitaires qui avaient trouvé dans l'autre une parcelle de rêve. Yvonne admirait sa grande sagesse (c'était un jeune homme de 215 ans) et lui appréciait l'immense amour qui se dégageait d'elle, amour dont elle faisait profiter tout ce qui vivait autour d'elle, individus, animaux, plantes...Une grande amitié, teintée de romantisme, naquit entre eux, quelque chose de spécial comme on n'en connaît qu'une fois dans une vie.
L'été passa et un jour, le vent souffla plus fort, la température fraîchit. Yvonne sut alors qu'elle perdrait bientôt «son adorable petit bonhomme». Chaque jour de plus au calendrier accentuait leur tristesse à tous deux.
Il partit un matin d'octobre sur le dos d'un goéland. Donnant un baiser à sa belle, il lui dit qu'il avait vécu les plus belles semaines de sa vie de gnome, sur une île perdue de l'Atlantique. Yvonne pleurait. Mais dans ses larmes se trouvaient les germes d'un bonheur fait d'amour, de foi, de sérénité. Un bonheur qui resterait ancré en elle à jamais. Car elle savait maintenant que les rêves se réalisent. Il suffit d'y croire.
N.B. Si vous désirez avoir plus d'informations sur les gnomes, mon amie Yvonne vous conseille le très beau livre «Les gnomes» écrit par Wil Huygen et publié chez Albin Michel. Qui sait, peut-être un jour aurez-vous la chance d'en rencontrer un ...
Mars 1st 2008, 16:11
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