RENCONTRE DU TROISIEME TYPE
Depuis que Daniel avait posé son regard sur elle, il n'avait pu l'en détacher. Ses yeux et ses mains étaient irrésistiblement attirés. Elle n'avait pourtant rien pour plaire à première vue mais Daniel, lui, avait remarqué ce qui avait échappé aux autres. Il avait ce don pour reconnaître les trésors cachés et il le voyait bien, lui, ce trésor.
Il sentait déjà dans ses mains le plaisir de la toucher, de la palper. Il anticipait déjà tout le plaisir qu'elle lui donnerait et sentait monter en lui une colossale énergie.
Daniel n'avait plus qu'une chose en tête: être dans sa maison, seul avec elle. Son élan était comme un raz-de-marée, son regard brillait et, comme dans un conte de fée, il se retrouva chez lui avec son trésor. Il ne se rappelait même pas le chemin qu'il avait parcouru pour s'en retourner mais peu lui importait.
Elle était là, offerte, et lui se sentait comme un peintre face à sa toile, un créateur. Les plus belles idées lui montaient à la tête, tout semblait possible.
Il prit un moment pour s'arrêter, se calmer. Il savait qu'il ne fallait rien brusquer. C'était peu à peu qu'il voulait la dénuder, découvrir ses formes. C'est lentement que le plaisir devait monter.
Cette pulsion, c'était celle du mâle dominateur et chasseur qui veut être ressenti par celle qu'il a choisie. C'était aussi celle de l'artiste qui veut donner vie à son oeuvre. Il voulait à la fois prendre tout le plaisir qu'elle pouvait lui donner et en faire tout ce qu'elle pouvait être.
Il voulait aller lentement mais son désir s'exacerbait, tout son corps vibrait. Il la palpait maintenant et avait fermé les yeux pour ne vivre que la sensation de ses mains.
Maintenant qu'il était sur sa lancée, rien ne pouvait l'arrêter. Il se leva et l'entraîna avec lui vers cette pièce où il ferait d'elle une nouvelle création.
C'était sa vie, sa pensée, son énergie qu'il allait bientôt lui insuffler avec toute l'ardeur dont il était capable.
Dans la pièce, il lui fit une place sur une chaise. Immobile, elle attendait. Il commença à lui enlever tout ce qui n'était pas nécessaire, la dénuda pour mieux la découvrir, la saisir, la posséder, la pénétrer.
Tout était sensuel et silencieux dans ce lieu. Peu à peu, elle commença à lui livrer son âme et ses secrets et il sut qu'il avait eu raison. Il avait découvert un trésor qui n'attendait nul autre que lui pour la découvrir, l'aimer, la transformer.
Puis, pour un court instant, le désir et la passion du premier moment laissèrent place à la tendresse et il en fut ému. Il la regarda comme une mère regarde son enfant qui dort. Il savait qu'elle lui livrerait tout son être; il la trouvait belle car il saisissait l'essentiel de ce qu'elle était.
Elle fut bientôt nue devant lui. Et comme le violoniste qui pose l'archet sur les cordes de son violon, Daniel posa ses mains sur elle et tout le reste cessa d'exister.
Plusieurs heures plus tard, Daniel s'endormit, épuisé et heureux. Il avait l'impression d'avoir tout donné et tout reçu. Qu'en serait-il du lendemain?
Le soleil était déjà haut quand il ouvrit les yeux et, pour un long moment, aucune pensée ne lui vint à l'esprit. Seul subsistait le bien-être.
Silencieusement, car il aimait le silence, il se leva, prit son café et son déjeuner et retourna la voir pour l'admirer encore. La fébrilité de la veille était remplacée par le ravissement. Il avait la certitude que quelque chose venait de commencer, quelque chose qui allait les transformer tous les deux.
Il était clair pour lui maintenant qu'elle avait autant de pouvoir sur lui qu'il en avait sur elle. Elle lui demanderait du temps et des efforts, elle serait une maîtresse aussi exigeante pour lui que la toile blanche l'est pour le maître. À la fois un merveilleux duo et un terrible duel. Il avait maintenant le sourire aux lèvres car une pensée lui était venue à l'esprit: Ce qui l'avait rendu heureux et fait de lui un être meilleur dans la vie avait rarement été facile. Il se sentit prêt pour tout ce qui allait suivre sans trop savoir quoi, et ce fut une nouvelle vague de passion. Ses mains avaient soif, avaient faim de ce corps encore étranger et encore une fois, il fut l'instrument de sa passion, aussi rageur que le vent sur les Îles, aussi passionné que le pianiste sur le clavier.
Ayant enfin assouvi son besoin dévorant, Daniel contempla son oeuvre. Il voyait maintenant plus clairement ce qu'il n'avait jusqu'à présent que deviné chez elle.
Lentement, il ôta ses gants et ses verres protecteurs, déposa son ciseau à bois et caressa d'une main amoureuse la belle bûche d'érable sur la table.
Lui tournant le dos pour quelques heures, il sortit marcher dehors.
Le sculpteur est un être spécial. Il perçoit des choses que nul ne voit. Il sent l'âme qui habite le bois ou la pierre et doit la faire ressortir. Il en naîtra des anges ou des démons, qui sait? Mais ces anges ou démons, proviennent-ils de la matière ou du sculpteur?