OUI, MAIS JAMAIS PERSONNE N'A PRETENDU QUE LA LITTERATURE NE DEVAIT OFFRIR QUE DE LA BONNE HUMEUR A SES LECTEURS.
IL NOUS ANNONCE LA FIN DE L'AMOUR.
LUI, MICKEL HARLEBECQ NOUS ANNONCE LA FIN DE L'AMOUR EN RENTREE LITTERAIRE, QUOI DE PLUS TRISTE?
LE PESSIMISME DE DARWIN, L'ACCEPTATION DU FAIT QUE NOUS SOMMES DES FILS DE SINGE, DE POISSONS, DE LA MER, PEUT-ETRE.
QUOI DE PLUS BEAU?
LA CULTURE ORALE, CELLE QUI NE SAIT PAS LIRE, JUSTE SE RACONTER POUR ETRE RACONTEE, JUSQU'A SON ECRITURE, JUSQU'A SA PERTE.
LE TEMPS QUI PASSE RECHERCHE ENTRE SES NUITS DES CONTES D'HOMME, IL ETAIT UNE FOIS...
-Quel âge avez-vous?
Le vieil homme me regarde, un sourire se dessine sur ses yeux que je devine bleus, je comprends que je n'aurai pas de réponse, il commence à parler.
Il est né en Sicile, très près de la mer, si près d'elle qu'elle danse sur son regard, en ces temps là la vie commençait avant la vie, tracée, destinée comme le destin même.
On ne naît pas homme, on le devient, et vite, très vite quand la vie est survie, sans question puisque toutes les réponses sont tellement évidentes qu'elles annulent en silence toute interrogation.
Au milieu de ses rêves il était réveillé par le fracas des bols et l'odeur du café frais.
-Quel âge aviez-vous?
Il ne sait plus, c'est à mon tour de sourire, il se souvient de sa mère qui ne riait jamais par manque de temps, il survole, par manque de temps aussi je pense, il doit parler pour raconter ce qui est important, la fatigue, la faim, la mort, le respect.
Partir pêcher en mer entre les hommes en attendant de partir avec eux, les plus forts, pêcher le poisson-épée, le poisson Roi, l'espadon.
Une embarcation, six hommes dont quatre rameurs, un homme perché haut pour tracer le parcours du poisson et indiquer la marche, la cadence à suivre en criant le plus fort possible, et lui debout armé d'une lance assassine liée à une grosse corde, avancer en mer, attendre, la voir, la suivre, elle.
Il faut toucher la femelle d'abord pour attirer le mâle, jamais il n'abandonnera sa femme.
-Sa femme?
Les yeux du vieux s'allument, il me fixe et le ton de sa voix monte en intensité.
-Oui, oui, sa femme, il restera avec elle jusqu'à la fin, fidèle jusque dans la mort, leur mort.
Tout droit, droit, plus vite, à gauche et droit devant, vite, comme ça, plus vite, encore à gauche, plus vite, maintenant!
Alors la barque s'arrête, les hommes sont inondés de fatigue surréelle, ils baissent la tête, se relèvent pour tirer la corde, tous ensemble, elle est morte.
Il faut sur sa peau lisse graver du bout des ongles une double croix.
-Pourquoi?
-Par respect, pour éloigner la mort qui a choisi sa victime, parce que cela se fait depuis le début des temps, mon père, mon grand-père...
J'ai l'impression que la Grèce scintille dans les yeux de l'homme au milieu de ce flux de souvenirs sans temps.
-Et son compagnon?
Il me fixe encore, reconnaissant pour le choix des mots, "son compagnon", nul besoin d'ajouter autre chose, le vieux est fatigué, j'ai compris, j'avais déjà compris, il est las mais change d'histoire, il me parle des moteurs et des traites, il est en colère, et oui, parce que quand les gens ont pu acheter à crédit des instruments permettant d'avancer vite en mer sans fatigue, m'expliqua-t-il, le prix de l'espadon...et nous...
Silence, il fait très chaud.
-Tu as une cigarette?
-Oui!
Comment dire à une personne qui a certainement plus de 90 ans que fumer ça fait mal?
Je me lève, je pense qu'un verre de bière fraîche ferait bien notre affaire par cette chaleur, je pense à "sa femme", à la vie, à la mort, à ces hommes qui nous annoncent la fin de l'amour, à la fin d'un récit, à l'écoute.
Avant, tout près de nous, il y avait des hommes qui crachaient fort la sueur, la peur et le courage, la violence de la passion, il y avait la mer, le poisson et sa femme, jusqu'à la fin, c'est triste.
Et c'est beau.