Lettre d'une mère à sa fille
Ma chère Judith,
Tu auras vingt-quatre ans la semaine prochaine. Déjà! Il me semble que je te vois encore quand tu étais petite. En avons-nous pleuré des otites ensemble! Et fredonné des chansons sur la chaise berceuse ... et entendu des histoires de Walt Disney : tu redemandais toujours la même, celle de la princesse qui ne riait jamais.
Tu auras vingt-quatre ans et c'est hier que je te prenais dans mes bras pour la première fois. Ton arrière-grand-mère paternelle faisant office de sage-femme, tu es née dans notre appartement, un soir de mars. Quel merveilleux cadeau!
Je suis partie loin de toi, il y a déjà six ans. Mais nos âmes sont toujours près l'une de l'autre malgré l'océan qui nous sépare. Je sais que, parfois, tu préférerais que je sois près de toi. Peut-être ne comprends-tu pas comment je peux être heureuse, si loin de ma grande fille, si loin de ma famille.
J'ai choisi de m'installer sur une île parce que je voulais vivre une vie simple, riche en espace et en temps. Pourquoi si loin, me dis-tu? Ce fut un hasard, voilà tout. Un coup de foudre du hasard.
Je n'ai pas beaucoup d'argent, certes, mais j'ai du temps pour réfléchir, pour avoir la paix, pour travailler, pour regarder les étoiles, pour créer, pour parler et rire avec mes amis.
C'est important tout ça, important pour ma santé mentale. Et pour celle de n'importe qui.
Il faut de la simplicité pour sentir la réalité de sa vie, pour être créative. Et pas trop de choses autour. En ville, tu es inondée de magasins, de véhicules, de gens. Trop de sollicitation. Quand trop de choses nous entourent, on ne les voit plus. Chacune perd son caractère unique.
Certains endroits sont plus propices à la sérénité que d'autres. Comme un bernard-l'ermite, j'ai changé de coquille parce que celle-ci convenait mieux à mon équilibre, physique et spirituel. La vie que l'on vit aujourd'hui nous incite à la dispersion de nos énergies. Tout cela est contraire à la vie contemplative, à la paix de l'âme.
Ceux qui ont toujours connu une vie facile, sans déchirures (divorce, maladie grave, etc.) ont de la difficulté à comprendre comment une personne peut vivre avec presque rien et être heureuse quand même. Lorsque notre vie s'est brisée plusieurs fois sur des récifs, on devient moins attaché aux choses matérielles et on savoure les petits bonheurs.
Enlève le superflu, il reste l'essentiel.
Tout ce qui me manque maintenant, c'est l'amour. Je l'ai déjà connu et le connaîtrai encore, car mon âme est réceptive. Lorsque j'entendrai la musique d'un autre coeur, et qu'il entendra celle du mien, le temps sera venu.
Je crois qu'à ton âge, il est difficile de s'imaginer vivre comme je vis. Mais pour moi, qui n'ai jamais résidé dans une ville, c'est le paradis. Peut-être qu'un jour, à la recherche de toi-même, mettras-tu pied à terre sur une île toi aussi, et te sentiras-tu le besoin de faire un grand ménage pour quelque temps ou peut-être pour l'éternité. Qui sait? Alors, à ce moment, et seulement à ce moment-là, tu comprendras cette félicité qui m'habite et cette ivresse qui s'empare de moi lorsque j'entends le chant de la mer, surtout après un hiver long et glacé. Et aussi pourquoi je me sens si malheureuse après quelques jours passés sur le continent. Je n'ai envie que d'une chose : revenir sur mon île et retrouver la paix qu'elle me donne!
Je t'aime
Maman xxx